Les grands sakés d’Hiroshima

Hayashi, une brasserie située sur l’île de Kurahashijima, dans la partie la plus au sud de la préfecture d’Hiroshima et son toji, qui pratique le brassage en 4 saisons.

Depuis Kure, le trajet prend environ 30 minutes. Après avoir traversé le pont Ondo-Ohashi, on se dirige vers l’île de Kurahashijima.

Au bout d’une des 100 plus belles plages du Japon, Katsurahama, se trouve la brasserie située le plus au sud de la préfecture d’Hiroshima : la brasserie Hayashi.

Cette brasserie a été fondée en 1806 pendant l’ère Edo (1603-1868), il y a plus de 210 ans.

Hideki Hayashi, le président de la brasserie, 6e génération de la famille, est également directeur de la clinique Hayashi, située non loin. Les Hayashi exercent la médecine tout en dirigeant la brasserie depuis la 3e génération.

Le village de Kurahashi-cho, où selon une théorie, les bateaux des missions japonaises envoyées dans la Chine des Tang auraient été construits, s’est longtemps enrichi grâce à la construction navale. On peut encore y voir les vestiges de docks datant de l’ère Edo.

Situé à un point stratégique du trafic maritime, Kurahashi-cho était autrefois une ville portuaire florissante qui abritait de nombreuses brasseries de saké. C’est de là, dit-on, qu’on expédiait du saké vers Nada et Fushimi.

La brasserie Hayashi est désormais la seule encore en activité sur l’île. Le nom de son saké “Mitaniharu” (le printemps des trois vallées) vient du fait que celui-ci est brassé avec une eau qui jaillit de trois vallées après avoir traversé les sols graniteux de l’île. Le nom de ce saké a été donné par Kozan Sakai, un érudit confucéen de la fin de l’ère Edo. Les caractères de l’étiquette ont été peints par Rai Itsuan, fils de Rai San’yō, également érudit confucéean de la fin de l’ère Edo ayant été en relation avec le domaine d’Hiroshima. Itsuan appréciait le Mitaniharu et aurait peint les caractères alors qu’il était un peu ivre.

Un saké brassé par un toji seul tout au long des quatre saisons

Le saké est habituellement brassé en hiver, lorsque les températures baissent, avec le riz récolté en automne. Mais à la brasserie Hayashi, le brassage se déroule pendant les quatre saisons. En japonais, on appelle le brassage d’hiver “Kanzukuri” , et “Shikijōzō”, celui qui s’étend sur quatre saisons.

Au début de l’année, de janvier à fin mars, le toji et le brasseur travaillent ensemble de manière intensive pour brasser le saké, mais pendant le reste de l’année, le toji poursuit le travail seul.

L’une des raisons pour lesquelles on préfère brasser le saké pendant l’hiver au Japon, est qu’il est plus difficile pour les bactéries indésirables de se reproduire à basse température.

De plus, lors de la fermentation, une étape importante dans le brassage du saké, une période de basse température est nécessaire afin de permettre au moromi de fermenter lentement et longuement. Comme l’eau douce propre à la préfecture d’Hiroshima ne permet pas une fermentation aussi vigoureuse que celle obtenue avec l’eau dure, elle nécessite l’emploi d’une méthode de fermentation longue et à basse température.

C’est pour ces raisons que le climat hivernal est idéal pour la fabrication du saké.

Le brassage du saké sur quatre saisons n’est quant à lui pas affecté par les changements de température ni de taux d’humidité. En effet, grâce à un environnement dans lequel on peut contrôler la température, on peut brasser du saké toute l’année.

La brasserie Hayashi n’a pas cherché à s’équiper pour économiser de la main-d’œuvre. Au contraire, le toji travaille seul et continue d’employer des méthodes presque inchangées depuis la fondation de la brasserie il y a 200 ans, n’utilisant des équipements seulement là où le travail manuel ne suffit pas.

Bien que la méthode de brassage en quatre saisons ait été adoptée par de nombreuses entreprises de production de saké en masse, elle l’est aussi par de petites brasseries telles que la brasserie Hayashi qui continuent de brasser le saké avec soin en créant un environnement permettant le brassage quelle que soit la saison.

Devenu toji à seulement 23 ans, et après avoir acquis de l’expérience dans deux brasseries, Eiji Hirata travaille dur pour fabriquer le saké de la brasserie Hayashi.

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Eiji Hirata, toji de la brasserie Hayashi, 47 ans.

“La brasserie Hayashi est une petite brasserie avec une production annuelle d’environ 3000 bouteilles (bouteilles isshōbin, 1,8 litres). C’est la taille idéale pour moi. En effet, je peux  garder un œil sur l’ensemble et gérer moi-même chaque étape de la production. Physiquement, c’est épuisant bien sûr, mais c’est bien plus facile mentalement. Ça me permet de fabriquer le saké exactement comme je le veux.”

Il ajoute qu’il est notamment plus facile d’apporter une réponse en cas de réclamation, étant le seul responsable de la production. Il apprécie également le fait de maîtriser entièrement chacune des étapes de la fabrication du saké, du choix des matières premières à la mise en bouteille.

Après s’être spécialisé dans la fabrication du miso ou du pain au lycée agroalimentaire de Shobara, Eiji Hirata a rejoint la brasserie Shiran à Miyoshi. Il a commencé à aider à la brasserie alors qu’il était encore au lycée, mais s’est progressivement impliqué dans le processus de fabrication du saké, et est devenu toji à l’âge de 23 ans, au moment où la brasserie Shiran adoptait la méthode de brassage en quatre saisons. C’était un âge exceptionnellement jeune, même pour une brasserie de la préfecture d’Hiroshima.

Après plus d’une décennie d’expérience en tant que toji, il est engagé en 2013 à la brasserie de saké Mukaihara, dans la ville d’Akitakata, où il reste trois saisons, et rejoint la brasserie Hayashi en 2017 en tant que toji.

Actuellement, en plus de son travail à la brasserie Hayashi, Eiji Hirata est également toji à la brasserie Kinfundo dans la ville de Kudamatsu (préfecture de Yamaguchi), et participe chaque année d’octobre à décembre, à des expériences de brassage au centre de recherche agroalimentaire de la préfecture d’Hiroshima.

Il travaille dans trois brasseries différentes mais veille à adapter sa manière de brasser le saké à chacune de ces brasseries. Ainsi, il met au point des sakés distincts dont le goût reflète les caractéristiques de la brasserie dans laquelle il est produit.

Poursuivre de nouveaux défis tout en préservant les traditions

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“Participer à de nouvelles expériences au centre de recherche agroalimentaire est très enrichissant. Ça me permet d’approfondir mon savoir et mes connaissances du brassage du saké, et de découvrir de nouvelles techniques. Je me lance le défi de créer quelque chose de nouveau et de différent tout en préservant les méthodes traditionnelles.”

Le toji Hirata pense que la fabrication du saké doit rester aussi simple et facile que possible. Il fait en sorte de maintenir la qualité du Mitaniharu, tout en préservant l’essence de sa méthode de fabrication, mais en s’adaptant aux récoltes de riz, au climat ou autres facteurs changeants au fil des années.

“Si à la base, le Mitaniharu est un saké sec à la finale nette, il s’adoucit aussi en bouche au fur et à mesure que le kōji fermente, sans pour autant devenir charpenté ni piquant. C’est un saké qui peut tout à fait s’apprécier pendant le repas” explique-t-il.

La brasserie Hayashi utilise le riz Yamada Nishiki produit dans préfecture d’Hiroshima à un taux de polissage de 35% pour le Junmai Ginjo et le Daiginjo, et le Hattan Nishiki, également produit dans la préfecture d’Hiroshima, à un taux de polissage de 65% pour le saké pétillant et le Junmai. Elle emploie un riz à saké d’Hiroshima et de l’eau du puits ou du robinet filtrée.

Selon le toji Hirata, ce qui fait la particularité du saké d’une brasserie vient en grande partie des méthodes de brassage employées, bien plus que du fait d’utiliser du riz ou l’eau de la région. En effet, ce qui rend un saké unique, c’est chacune des étapes de sa fabrication : le trempage du riz, sa cuisson, la fabrication du kōji, la fermentation, et plus encore, la température de fermentation.

La brasserie Hayashi a remporté dès 1907 le deuxième prix d’honneur du premier concours national de saké, mais elle ne s’est pas arrêtée là, en effet, elle a reçu le 1er prix pour son Daiginjo Mitaniharu, lors du 65e Concours des Sakés de Tojis organisé en 2019. Et ce grâce au travail du toji Hirata.

Contrairement à d’autres compétitions telles que le Concours National des Nouveaux Sakés ou le Concours des Sakés d’Hiroshima, où il n’y a pas de classement, les résultats des 10 premiers sont annoncés et le prix est remis au nom du Toji, ce qui permet de mettre en valeur son haut niveau de compétence.

De nouveaux défis sont également en préparation.

La brasserie Hayashi s’est lancée dans la production d’un Junmai Daiginjo destiné aux riches consommateurs chinois en 2018, et en 2020, elle a expédié pour la première fois du Sparkling Mitaniharu vers la France.

La brasserie a également participé au projet « Hiroshima Ichizuna Junmaishu », qui consiste à concevoir des sakés destinés à accompagner des plats typiques d’Hiroshima. C’est ainsi qu’en 2019, elle a mis en vente le Sparkling Mitaniharu, un saké pétillant qui se marie parfaitement avec les huîtres frites. Pour mettre au point ce saké, la brasserie Hayashi a travaillé au centre de recherche agroalimentaire en collaboration avec des sommeliers et cuisiniers locaux, de 2013 à 2015.

Le Sparkling Mitaniharu est brassé avec du riz Hattan Nishiki poli à 65%. Consommé avec des plats frits, il donne l’impression d’aider à digérer le gras. On apprécie sa fraîcheur, son acidité et son pétillant. Enfin, son faible taux d’alcool, seulement 4 degrés, le rend accessible même aux consommateurs peu habitués au saké.

Le toji Eiji Hirata explique que le nouveau défi qu’il s’est lancé est de conquérir les marchés étrangers en commençant avec le saké pétillant. “Les besoins sont aujourd’hui de plus en plus variés en ce qui concerne le saké, c’est pourquoi nous devons continuer à expérimenter et nous remettre sans cesse en question”.

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